Face à la fuite des capitaux vers les États-Unis, l’Union européenne lance le label « Finance Europe ». Objectif : réorienter une partie des 35 000 milliards d’euros d’épargne vers les PME du continent. Une révolution douce qui ambitionne de rendre l’épargne plus utile, plus locale… et fiscalement attractive.
Une ambition stratégique pour une Europe plus souveraine
L’Europe n’a peut-être pas encore son Nasdaq ou son BlackRock, mais elle se dote désormais d’un instrument stratégique pour renforcer son autonomie financière. Le label "Finance Europe", signé début juin par dix États membres (dont la France, l’Allemagne et l’Italie), vise à orienter une part significative de l’épargne des ménages vers les entreprises européennes, via des fonds labellisés.
Le dispositif est clair : pour obtenir le label, un produit devra investir au moins 70 % dans des actions ou obligations d’entreprises européennes (cotées ou non), et cela pour une durée minimale de cinq ans. En contrepartie, ces fonds bénéficieront de l’enveloppe fiscale « la plus avantageuse et la plus simple possible », selon Bercy.
Ce label s’inscrit dans la volonté plus large d’Union des marchés de capitaux (UMC), qui cherche à harmoniser les règles du jeu pour faciliter l’investissement transfrontalier et favoriser la rétention de capitaux dans l’UE. Car aujourd’hui, près de 20 % de l’épargne européenne est investie à l’étranger, en majorité aux États-Unis, à travers des produits ETF dominés par les marchés US. Une dépendance qui fragilise le financement du tissu entrepreneurial européen.
Un trésor de guerre mal employé
Le timing semble idéal : alors que les indices boursiers américains ralentissent (+2 % pour le S&P 500 en 2025), le STOXX Europe 600 progresse de plus de 8 % sur la même période, porté par une résilience relative de l’économie européenne. C’est donc le moment de redorer le blason du placement en actions européennes, longtemps boudé par les ménages au profit de la sécurité des livrets ou des obligations souveraines.
Le potentiel est immense : avec 35 000 milliards d’euros d’épargne, les Européens disposent d’un taux d’épargne de 13,3 %, bien supérieur à celui des Américains (7,9 %). Mais leur prédilection pour la liquidité et la garantie en capital freine leur engagement en actions : seuls 33 % de l’épargne européenne y est investi, contre 50 % aux États-Unis.
D’où l’enjeu de ce label : restaurer la confiance, offrir un cadre clair, lisible, et attractif. Selon un sondage Ifop réalisé pour Bercy, 52 % des Français jugent ce type de label utile, à condition que la fiscalité soit incitative. Le succès du plan d’épargne retraite (PER), qui a mis sept ans à s’imposer, montre qu’une réforme bien ciblée peut changer durablement les habitudes d’épargne.
Pour les investisseurs : une nouvelle enveloppe à surveiller de près
Pour les investisseurs particuliers comme pour les professionnels, le label « Finance Europe » pourrait à terme devenir une enveloppe incontournable, à mi-chemin entre le PER et les unités de compte de l’assurance-vie. À condition que les promesses de lisibilité, de rendement et d’avantage fiscal soient tenues.
Banques, compagnies d’assurance, sociétés de gestion : les distributeurs auront un rôle clé pour valoriser ces produits auprès des épargnants, en expliquant clairement leur fonctionnement et leur horizon de placement.
L’enjeu est aussi politique : il s’agit de donner une direction à l’épargne européenne, non plus seulement tournée vers la protection individuelle, mais aussi vers le financement de l’économie réelle du continent.
Si la mise en œuvre est prévue pour 2026, le label pourrait suivre une trajectoire similaire à celle du PER : long à démarrer, mais structurant à terme. Dans un monde multipolaire, où la souveraineté économique passe aussi par la finance, la création de ce label pourrait marquer un tournant dans la manière dont l’Europe pense son avenir… et celui de ses épargnants.