Normes fiscales : l'État étranglé par ses propres règles

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Un rapport du Sénat alerte sur l’explosion du coût des normes fiscales en France, estimé à 4,5 milliards d’euros pour l’administration et les contribuables. Complexité croissante, empilement réglementaire, instabilité législative : le système fiscal français frôle l’asphyxie. Et ce sont les entreprises, les indépendants et les particuliers qui paient la facture.
 

Un millefeuille fiscal de plus en plus illisible
C’est un chiffre qui résume le malaise : 4,5 milliards d’euros, c’est le coût annuel estimé par le Sénat pour faire fonctionner l’ensemble des normes fiscales françaises. Un montant qui ne finance pas l’État… mais le coût de la complexité elle-même. Chaque nouvelle exonération, crédit d’impôt ou dispositif dérogatoire vient ajouter une couche supplémentaire à un système déjà saturé.
Le rapport sénatorial, publié début juin, dresse un constat sévère :
– la taille du Code général des impôts a été multipliée par six depuis 1957 ;
– la durée moyenne de vie des lois fiscales est de trois ans à peine ;
– la lisibilité pour le contribuable et la prévisibilité des règles s’effondrent.
 

Chaque niche fiscale, aussi légitime soit-elle, induit des coûts : en temps pour les contribuables, en moyens pour l’administration, en honoraires pour les fiscalistes. Le problème n’est pas tant le niveau des prélèvements, que l’opacité et l’instabilité du cadre juridique.
 

Les entreprises sont en première ligne. Selon le Medef, une PME française dépense en moyenne 3 à 5 % de son chiffre d’affaires pour se conformer aux normes fiscales, sans même parler des contrôles, redressements ou risques d’erreur. Même les particuliers sont impactés : les déclarations d’IFI, les réductions IR, les dispositifs type Pinel ou PER exigent un niveau d’expertise croissant.
 

Une fiscalité à rebours de la compétitivité
Ce diagnostic ne date pas d’hier. Déjà en 2021, l’Institut Molinari estimait que la complexité fiscale française coûtait deux fois plus que chez nos voisins allemands. Depuis, peu d’avancées concrètes ont été mises en œuvre. La loi de simplification, annoncée à plusieurs reprises, reste floue, et les réformes successives ont souvent ajouté de nouveaux dispositifs sans en retirer les anciens.
 

Le Sénat propose plusieurs pistes :
– créer une instance d’évaluation du coût des normes fiscales, indépendante et systématique ;
– instaurer un principe de "deux règles supprimées pour une créée", inspiré du modèle canadien ;
– limiter la durée des dispositifs fiscaux dérogatoires à cinq ans, renouvelables sous conditions ;
– renforcer la clarté des textes fiscaux, avec des fiches explicatives pour les non-initiés.
Car au-delà du coût financier, c’est la relation entre l’administration et le contribuable qui se détériore. L’incertitude fiscale freine l’investissement, encourage la délocalisation ou la défiscalisation à outrance, et nourrit la défiance envers l’État.
 

Pour les investisseurs : un risque de complexité croissante à intégrer
Dans ce contexte, les épargnants et investisseurs doivent plus que jamais s’entourer de conseils qualifiés. Choix d’enveloppe fiscale, stratégie successorale, arbitrage entre immobilier et valeurs mobilières… chaque décision suppose une analyse fine des règles en vigueur, mais aussi de leur évolution probable.
 

Les professionnels (CGP, notaires, fiscalistes, avocats) jouent un rôle de filtre essentiel. Mais ils doivent eux-mêmes composer avec des textes mouvants, parfois contradictoires, souvent interprétables. La sécurité juridique devient un facteur-clé de la stratégie patrimoniale.
 

Enfin, ce rapport du Sénat rappelle que la simplification fiscale est un levier de compétitivité autant qu’un enjeu citoyen. À l’heure où d’autres pays misent sur l’attractivité et la stabilité (Portugal, Émirats, Irlande), la France devra faire un choix : maintenir un système kafkaïen… ou miser sur la lisibilité pour regagner la confiance.